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Notre dernier livre d’entreprise : L’Achemineur, 80 ans

15 novembre 2017

Porte-plume est spécialiste des livres d’entreprise sur mesure.

Pour chaque livre, nous imaginons un livre, nous constituons une équipe, nous menons une enquête, nous nous imprégnons d’une culture.  C’est à chaque fois une aventure, à chaque fois une belle rencontre.

En cette fin d’année, les projets sont nombreux et on ne prend pas assez de temps pour vous les raconter.

Alors ce soir, on fait une pause pour vous raconter le livre des 80 ans de l’Achemineur.

 

 

Un transporteur d’objets de valeurs

L’Achemineur moi je ne connaissais pas. Et pour cause, l’Achemineur ne souhaite pas être connu, et encore moins reconnu. Son savoir-faire c’est la discrétion. Son rôle est de transporter des objets précieux sans se faire remarquer, en toute sécurité. Nous devons donc faire un livre sur une entreprise qui n’a jamais parlé d’elle et qui souhaite rester discrète. Premier challenge !

Mais derrière ce nom mystérieux se cachent des hommes aux valeurs fortes et une très belle histoire.

 

 

Une aventure familiale

L’histoire de L’Achemineur, depuis sa création, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, sous le nom de Transports Harent, est d’abord celle d’une filiation exceptionnelle, incarnée aujourd’hui, et depuis la fin des années 1960, par une personnalité hors normes, celle de Dominique Harent, fils d’Emmanuel, petit-fils de René. À travers les souvenirs marquants de Dominique, nous avons retracé l’histoire mouvementée de ce transporteur pas comme les autres.

 

Des histoires hors du commun

Quand on rencontre pour la première fois Dominique Harent, on est sous le charme de ce personnage charismatique, qui aime les belles montres et leurs mécanismes.

Il aime surtout raconter les anecdotes familiales.

 

Deux histoires nous ont particulièrement marqués, voici un extrait de notre livre :

 

« Le transport des toiles du Louvre pour sauver le patrimoine national

Emmanuel reçoit donc un ordre de mission émanant de l’adjoint du conservateur, l’enjoignant de procéder au transport de certaines toiles du Louvre vers le château de Sourches, près du Mans. Il s’agit en particulier de tout ce qui concerne Napoléon Ier (La Distribution des aigles de David, La Bataille d’Aboukir de Gros, des toiles de Delacroix, etc.). Il récupère donc ses camions, les Bernard des Transports Harent, qu’avant de rejoindre son régiment il a « sabotés » (en fait, il en a prélevé les pièces essentielles, notamment les injecteurs) afin que les véhicules ne puissent servir à l’armée allemande : en effet, la plupart des camions partiront bientôt sur le front russe…

Se présentant au Louvre, Emmanuel charge les tableaux et se dirige vers la Sarthe, avec un accompagnateur du musée. Arrivés au château, ils sont reçus par le gentilhomme qui l’occupe, ainsi que son majordome ; les deux hommes ne se quittent jamais depuis qu’ils ont fait la Grande Guerre ensemble. « Ils avaient viré le personnel féminin, la bonne, la cuisinière, tout ça, vu que les camions arrivaient et qu’il ne fallait pas que ça se sache », explique Dominique, qui poursuit : « Le gentilhomme les fait descendre dans la cave – mon père m’a dit qu’elle était grande comme un terrain de foot, remplie de bouteilles de château Petrus et compagnie, incroyable ! – et leur explique que c’est là qu’ils vont décharger le Bernard rempli jusqu’à la gueule de tout ce qui concerne Napoléon Ier. »

Une fois les œuvres entreposées, le gentilhomme fait réaliser par un ouvrier un mur identique aux autres. Des casiers sont rangés contre cette fausse cloison, la mission est accomplie.

Emmanuel rejoint son régiment d’aviation à Istres. Il fait partie des « roulants », qui convoient notamment vivres, munitions et essence. Lorsque les camions arrivent enfin à Istres, les avions ont déjà dû redécoller, vers l’Algérie cette fois. Le régiment d’Emmanuel est dissout, il est démobilisé et remonte à Paris.

Enfin, la guerre se termine. Le conservateur du Louvre se rappelle alors au bon souvenir de son ami René, car tous les acteurs du premier acte sont morts, de l’accompagnateur du musée qui était parti avec Emmanuel au gentilhomme qui habitait le château, sans oublier son fidèle majordome. Emmanuel est donc le seul à pouvoir se rappeler l’emplacement exact où sont cachées les œuvres d’art. En effet, toutes les archives du musée ont été brûlées afin que les Allemands ne puissent pas connaître la destination des toiles… Emmanuel indique aux gendarmes où sonder puis creuser. Les toiles n’ont pas bougé, ni même les bouteilles de grands crus, laissées apparentes en guise de leurres, et dont on redoutait qu’elles aient pu être pillées par l’occupant.

En ce jour de l’an de grâce 1945, le Louvre a failli faire tirer un feu d’artifice en plein jour !

 

Juste parmi les Nations 

Pendant la guerre, un autre type de transport, « de troupes » cette fois, selon Dominique, est entrepris dans l’urgence par Emmanuel et René lors de la rafle du Vel’ d’hiv’, les 16 et 17 juillet 1942.

Dans le quartier pauvre de Ménilmontant habitent alors beaucoup de Juifs, notamment polonais, qui travaillent sur leurs machines à coudre. Un petit garçon de la famille Patalowski, Norbert, a pris l’habitude de s’amuser avec la sonnette de la porte de la maison des Harent, au 3, rue des Panoyaux. Cela énerve prodigieusement René, qui, un jour, décide d’ouvrir la porte avant que le petit ne sonne, et lui dit en substance : « Écoute, tu vas arrêter, parce que tu m’énerves. Je vais te donner un bonbon. Chaque fois que tu auras envie de tirer la sonnette, je te donnerai un bonbon, mais ne touche plus jamais à cette sonnette. » Norbert reçoit le message cinq sur cinq, et prend alors l’habitude d’entrer directement chez les Harent pour demander son bonbon. « Ils sont devenus amis, et grand-père l’a adopté », note Dominique, qui va devenir un ami de Norbert. Plus tard, il travaillera brièvement pour lui dans le Sentier…

Laissons Dominique relater les événements de ces heures tragiques :

« Le 16 ou le 17 juillet 1942, la police française bloque la rue avec les Allemands…  Régine, la mère de Norbert, rentre à la maison, affolée. Il y avait déjà des Juifs qui étaient en train de rentrer, on les a cachés à la cave, ils étaient seize.

« Les Allemands fouillaient tous les immeubles à coups de… Et Norbert est resté en haut, au deuxième étage, dans l’atelier de couture. On dit ça à mon grand-père. Alors il prend la première veste qui lui tombe sous la main, et c’était celle sur laquelle il y avait ses barrettes, avec toutes ses citations militaires – ça, il faut savoir lire – et il monte au deuxième étage, où il trouve Norbert sous une machine à coudre, l’enroule dans une couverture, le prend dans ses bras… et là, il y a une sentinelle allemande, qui l’arrête. Grand-père parlait l’allemand, mais n’a pas dit au Schpountz qu’il le parlait. L’autre hurle, grand-père comprend, il se dit “ça y est, c’est foutu”. Coup de bol, et ça c’est le bon Dieu : arrive un jeune officier allemand qui n’avait rien de nazi. Il y en avait. Et ce jeune officier observe, comprend très bien la situation, il lit les barrettes et il dit à la sentinelle “garde à vous !” en allemand. La sentinelle s’exécute, et puis l’officier ordonne : “Laissez passer !” Il regarde mon grand-père, lui fait un clin d’œil et lui dit de circuler. Ça tient à ça. C’eût été un bon nazi, allez hop ! »

Une Peugeot 201 utilitaire des Transports Harent dort dans un garage de la rue. Il faut exfiltrer Norbert et Régine de Paris. René a de la famille à Villeselve et Villers-Bocage, en Picardie.

Emmanuel entreprend alors de peindre la camionnette pendant la nuit, au pinceau, tout en blanc ; il trace une croix rouge grossière sur la carrosserie ; il laisse sécher. Au matin, René s’est habillé en blouse blanche d’infirmier, s’installe à droite, son fils au volant lui aussi en blouse blanche, et Norbert et Régine sont derrière, à l’abri des regards inquisiteurs puisque la camionnette n’a pas de vitre arrière.

Alors qu’ils sortent de Paris, sans doute par la porte de Vincennes, la sentinelle allemande se met au garde à vous. Dominique se souvient de la perplexité de son père devant ce comportement : « Papa m’a dit : “J’ai jamais compris… se mettre au garde à vous devant une ambulance…” » Son père et son grand-père se garent enfin à Villeselve, Norbert et Régine sont arrivés. Ils seront cachés pendant toute la guerre et reviendront saufs à Paris après la fin des hostilités.

Nous retrouverons brièvement Norbert en entrepreneur de textile dans le Sentier, une vingtaine d’années plus tard : c’est lui qui va permettre à Dominique de fourbir ses armes de « transporteur » … avec un simple diable !

Grâce au témoignage de Norbert Patalowski, le 18 janvier 2001, le mémorial de Yad Vashem a décerné à René Harent, au nom de l’État d’Israël, le titre de Juste parmi les nations, qui honore les personnes ayant mis leur vie en danger pour sauver des Juifs. C’est aujourd’hui encore une source de grande fierté pour Dominique, et pour tous les employés de L’Achemineur. »

 

Ce sont ces petites histoires qui donnent une âme à une société. Les transmettre permet de faire comprendre les valeurs des personnes qui dirigent l’entreprise, et de renforcer le sentiment de fierté de chaque salarié.

Je ne peux pas vous en dire plus sur l’Achemineur, sur ce que ses camions transportent et sur l’apparence de leur logo… le livre respecte un pacte du secret, et célèbre 80 ans d’histoire en toute discrétion !