« Besoin d’aide pour écrire ma biographie ».
C’est un titre de mail que je reçois souvent. Des appels à l’aide de personnes qui ont besoin d’être accompagnées, conseillées, épaulées pour écrire leur livre.
« Je ne sais pas comment écrire ma biographie mais je sais ce que je veux raconter. » Ou encore « Connaissez-vous un bon biographe qui puisse m’aider à raconter mon histoire ? »
Nous portons tous une histoire mais n’avons pas toujours le temps ou le talent pour l’écrire.
Aider les gens à transmettre leurs histoires est une belle mission pour nous. A chaque livre, chaque rencontre, nous sommes heureux de réaliser de beaux livres et d’aider des familles.
La journaliste Mariana Reali a eu la gentillesse de nous interviewer pour demander notre avis d’expert en biographie. Voici l’article très intéressant qu’elle vient d’écrire dans Les Echos :
« MA VIE EST UN ROMAN
Écrire sa vie. Pour laisser une trace, témoigner. Tout le monde en rêve un peu. Certains, seuls ou avec l’aide d’une plume professionnelle, vont jusqu’au bout. Le chemin n’est jamais anodin.
Ada Max se souvient que lorsque son fils était jeune étudiant en russe, il demandait sans cesse à sa grand-mère : « Mamie, raconte-moi la Russie… » Ada est née en 1938 en Pologne, elle avait deux ans quand son père, officier polonais, est tué à Katyn et qu’elle est déportée avec sa mère et sa grand-mère en Sibérie. « Mes enfants avaient tous entendu parler du massacre de Katyn par leur grand-mère ; ce sont eux qui m’ont poussée à raconter notre histoire. » Geneviève Hüe, quant à elle, est née en Indochine d’une mère française et d’un père vietnamien. Elle a vécu la colonisation, la décolonisation puis l’exil. Une période de sa vie à jamais inscrite dans ses tripes. Il y a quelques années, lui est venue l’envie de partager ses souvenirs, avant tout pour ses quatre filles. Poussés par ce besoin de témoigner, de transmettre ou encore de préserver la mémoire, de plus en plus d’anonymes se lancent ainsi dans le récit de leur roman familial. Et si chacun de nous portait un livre en soi ? Et si chaque histoire, aussi banale soit-elle, était essentielle pour les proches qu’elle implique ?
Il suffit de voir la quantité d’ateliers d’écriture et de biographes pour « inconnus » qui ont émergé ces dernières années pour se convaincre que l’histoire familiale est une sorte de patrimoine immatériel. Mais n’est pas écrivain qui veut et, au moment de prendre la plume, nombreux sont ceux qui reculent devant la difficulté de la tâche. Après plusieurs tentatives, Ada a fait appel à la biographe Joëlle Benchimol, fondatrice d’Une main d’écriture. « Je pouvais raconter, mais je ne pouvais pas écrire, insiste Ada. Faire ce livre a été un moment très dense en émotions. Je le faisais pour mes enfants, mais aussi pour mes parents ; tout le monde connaît la Shoah, mais combien connaissent Katyn ? C’était comme un rappel de l’histoire. Si je ne la racontais pas, elle s’éteindrait avec moi. Nous avons tous des choses en nous qui ne sortent pas ; le jour où il a fallu tout extraire, c’était très délicat. Les souvenirs revenaient petit à petit. Joëlle a su retransmettre les émotions que je n’arrivais pas à exprimer avec mes propres mots. »
RAVIVER DES SOUVENIRS ÉMOUSSÉS
Il y a une dizaine d’années, Caroline Albou, ancienne marketeuse chez Danone, a créé Porte-plume, une société d’édition spécialisée dans les biographies d’inconnus : « Raconter sa vie à un tiers permet de remettre dans l’ordre les sensations, le ressenti, c’est une sorte de bilan. Souvent, on ne connaît que des bribes de l’histoire de nos parents. Depuis dix ans, j’ai de plus en plus de demandes et de plus en plus de concurrents. » Fréquemment sollicités à l’initiative d’un enfant ou petit-enfant, ces « nègres » pour Monsieur Toulemonde, moyennant entre 2 000 et 3 000 euros, recueillent les témoignages (une quinzaine d’heures d’entretien), rédigent et impriment le livre au nombre d’exemplaires requis. L’ouvrage non commercialisé peut être agrémenté de photos, de notes historiques, de lettres, voire d’éléments plus personnels tels que des aquarelles, des poèmes ou même, pour les rigolards notoires, d’un florilège de leurs meilleures blagues !
Raconter sa vie permet tout d’abord de raviver la mémoire. Les premiers souvenirs à refaire surface relèvent des sensations, comme les odeurs pour Geneviève ou la température pour Ada. « L’évocation de l’enfance et celle de la jeunesse prennent énormément de place. Le souvenir, souvent émoussé, se précise peu à peu, avec les dates, les photos… À partir du moment où le récit concerne l’âge adulte, il devient plus factuel et moins ressenti », remarque Joëlle Benchimol. En fil rouge de ces biographies, on retrouve souvent une carrière, une ascension sociale, une épreuve, une guerre ou un exil. Très récurrents également, les témoignages autour du territoire, à savoir le pays, le village, et surtout la maison de famille, dont l’évocation provoque souvent une émotion inattendue.
Si certains ont besoin d’une plume extérieure pour se raconter, d’autres en revanche osent se lancer eux-mêmes dans l’écriture. Une démarche assez différente selon Marion Rollin, spécialiste de psychogénéalogie : « La narration reste souvent factuelle, tandis que quand on écrit soi-même, quelque chose nous traverse, l’écriture est à la fois un processus créatif et thérapeutique. Elle va chercher l’inconscient et aide à faire démarrer une réflexion. On se construit en choisissant les mots, et les mots éclairent les idées. » C’est ce qu’a vécu Geneviève lorsqu’elle s’est lancée dans l’écriture de son livre – au titre éloquent : Passé recomposé. Rapidement, la question de son métissage a pris une place bien supérieure à ce qu’elle avait imaginé. « Mon métissage et le fait que mon père vietnamien travaillait pour les Français avaient créé une situation très ambiguë. Cela m’a sauté à la figure en écrivant alors que je n’y avais jamais vraiment songé depuis mon enfance. » Elle interroge alors ses sœurs, qui ne se sentent pas concernées, ni même métisses ! « Ça a été la plus grande surprise de cette aventure. Cette différence de ressenti a déclenché chez moi une profonde réflexion. »
Ouvrir le dialogue dans la famille, libérer la parole, se confronter à d’autres vérités, voilà un autre effet de la démarche biographique. On part en quête de photos, on questionne ses proches, on attend des confirmations, certains faisant même le voyage jusqu’au lieu de leur enfance… Mais au bout du compte, chacun n’écrit que sa propre vérité.
PETITES HISTOIRES ET GRANDE HISTOIRE
Si Ada et Geneviève ont toutes deux vécu un épisode de l’Histoire avec un grand H, nul besoin d’avoir traversé des événements hors du commun pour avoir le droit de se raconter. Caroline Albou est convaincue de l’intérêt de toutes les histoires, même les plus ordinaires. « Mes biographies préférées sont celles de femmes qui n’ont jamais travaillé, qui n’ont pas connu de grands bouleversements, mais qui ont un amour démesuré pour leur famille, des femmes qui n’ont pas eu droit à beaucoup d’attention, mais qui tout à coup ont la possibilité de raconter. Ces biographies sont magnifiques de ressenti et de sensibilité. Elles donnent aussi une vision de leur vie de femme à un instant t. » Toutes ces vies sont le témoignage d’une époque. Pourtant, quand on interroge Ada, seule celle de la guerre semble à ses yeux digne d’intérêt. Elle n’a pas conscience que la suite de son parcours, comme souvent dans ces récits, mêle aussi la petite histoire à la grande. Celle d’un couple de commerçants, qui, sur fond de baby-boom, dirige l’un des premiers magasins à associer les univers de la mère et du bébé. Celle d’une étudiante qui, sur fond d’après-guerre, intègre l’une des premières promotions HEC Jeunes Filles. « On nous disait qu’en tant que femme, on ne pourrait jamais prétendre à être chef d’entreprise, mais qu’on allait nous former à être de très bonnes secrétaires de patron », lit-on dans l’un des passages de son livre.
Les proches d’Ada ont été passionnés par son histoire et disent l’avoir découverte sous un autre angle. Les filles de Geneviève, elles, ne l’ont pas lue. « Je me demande si je ne l’ai pas écrite trop tôt », analyse Geneviève, à peine déçue tant l’écriture lui a fait du bien. Et d’ajouter avec pudeur : « C’est peut-être trop chargé en émotions… J’ai l’espoir qu’elles s’y intéresseront quand je ne serai plus là. » Ce que Geneviève n’ose exprimer qu’à demi-mot, c’est que ces livres ont valeur de bilan, et qu’il peut être difficile d’en assumer la lecture quand leurs auteurs – qui plus est des parents – sont encore en vie. Quel qu’en soit l’accueil, avoir ainsi remonté le fil de leur vie est une forme d’aboutissement pour ces auteurs d’un nouveau genre. Certes, comme le souligne Joëlle Benchimol, « parfois, j’ai l’impression que les longues heures d’entretien comptent autant que le livre lui-même. » Mais les paroles s’envolent, les écrits restent. »